Mon travail de diplôme est un portait. C’est le portait de ma Patronne avec son chien, ses clients et sa vie que j’observe. Je suis couturière, dans son magasin d’habit de travail. J’aime cette personne, elle me fascine, surement car elle est loin et proche de moi en même temps. Alors ce qu’il se passe au milieu, m’appartient. Travailler le biais, le décalage, comme si juste avec mes yeux je pouvais faire pencher les choses. Et le partager en proposant une performance ou ensemble composent ; un texte, une table, un tabouret, ma patronne, son chien, mon tricot et moi. Ces éléments créent un tableau vivant, une image en mouvement d’une scène banale et fantastique. Une retouche. Je fais des retouches. Je touche encore une fois. Je répare. Entre leurs peaux et la mienne, il y a du tissu et du temps. Quand je me pique le doigt, quand mon fil fait un nœud, quand la machine déconne, quand je finis un ourlet, il y a leur odeur. Leur odeur de lessive ou de parfum. Leur odeur de gens que je ne connais pas. Mais, peut-être, la moiteur de mes mains ou le sang de mon doigt se mélange à elle. Je glisse ma main dans une poche et retrouve une liste de courses, un mouchoir ou rien. Ces gens m’habitent, je les invente, les imagine. Je me sens proche des gens que je ne connais pas. Sûrement parce qu’à la fin, c’est seulement avec moi que je suis. Un monde imaginaire n’est pas forcement habité de dragons ou de princesses, en fait.